jeudi 11 avril 2013

Un jour, une histoire : le 12 avril 1562, le massacre des Huguenots à Sens


Robert Hémard, bailli du cardinal Louis de Guise, Archevêque de Sens, vient d’être évincé de la mairie par le vote des Protestants.

Enhardi par le massacre de Vassy,  il conçoit dès lors le projet de débarrasser la ville de ceux qui avaient épousé la Réforme.
Un complot ourdi chez le Conseiller Tolleron, où se mêlent politique et religion.
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  "Le Massacre fait à Sens en Bourgongne par la populace au mois d'avril 1562"
HOGENBERG François (graveur),  d'après TORTOREL Jacques 
4e quart 16e siècle ; 1er quart 17e siècle
musée national du château de Pau
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La France au temps des guerres de Religion (1562-1577)
En ce début avril 1562, en la maison du Conseiller Tolleron, rue de Cugnières, se réunissent, dans le plus grand secret, quelques âmes bien pensantes pour agir contre la Réforme : trois échevins, Baptiste-Pierre Grenetier, Pierre Polangis et Joachim Dubourg, le procureur Etienne Granier et Balthazar  Taveau, procureur de la communauté.  A l’ordre du soir, charger deux hommes déterminés, Briard et Cayer, de recruter nombre de sicaires payés un teston par jour non compris ce qu’ils pourraient piller pour massacrer et délivrer la ville des adeptes de Calvin.
Il faut imaginer ces sbires, rasant les murs, pour aller, en cette nuit du 9 avril, marquer d'une croix les maisons que l'on devait seulement piller et de deux croix celles dont on devait égorger les habitants. Pour cette basse besogne, les chanoines des villages environnants feront venir leurs ouailles (ils seront plus de 300) pour «ayder ceux de la ville à faire le saccagement et massacre.» (1)
Pourtant, malgré le massacre de Wassy qui vient d’avoir lieu, les protestants sont rassurés par l’édit de janvier 1562 : ne leur permet-il pas de célébrer leur culte, en toute sécurité, à l’extérieur des villes ? Alors, peut-être par excès de confiance, ils ont laissé s’éloigner la garde qu'ils avaient pris à leur solde  pour garder leur Temple, situé au marché aux pourceaux, au dehors des murs de la cité.
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Le massacre de Wassy gravure (Tortorel et Perrissin)
Le dimanche 12 avril une procession solennelle est organisée en l'église  Saint-Savinien. Un nombre considérable de fidèles s’y rendent, tant de la ville que des villages voisins. Quand ils furent rentrés dans l'église, un moine jacobin appelé Begneti y prêche avec violence et rage contre les huguenots. Son appel est trop bien entendu. Une foule hurlante sort de l'église et se jette en armes sur le temple où les protestants se trouvent réunis pour leur office. Hommes et femmes attaquent les Huguenots, en tuent et en blessent le plus grand nombre. Les plus chanceux parviennent à prendre la fuite tandis qu’armés de pieux, de barre de fer et de masse, les bonnes âmes détruisent l'édifice religieux.
Aussitôt après, au son du tocsin de la cathédrale, la foule entre dans la ville et se met à saccager et à piller les maisons marquées au sceau de l’infamie hérétique. Le premier chez qui l'on pénètre est le conseiller Hodoard, personnage éminent et considéré, neveu du fondateur du collège de la ville. Magnanime, on se contente de le conduire dans les prisons de l'archevêché… 
On passe alors aux demeures des conseillers Boulenger, Michel Boucher et Maslard, du prévôt Claude Gouste, de l'élu de la ville Jean Michel, de l'avocat Aubert, de l'imprimeur Richebois et du médecin Ithier. Sur les gravures de massacre, des artistes ont représenté, les cruautés du récit de Crespin : « A Sens, l'épouse de Jacques Ithier subit le tenaillement des seins, à la manière de sainte Agathe : l'ayant despouillée toute nue, luy couperent et cernerent les mamelles, et aveques des actes les plus vilains et infames qu'il est possible, en presence de deux siennes jeunes filles, la jetterent finalement en la riviere. »(2) Pour échapper au massacre, les malheureux habitants s'enfuient et se cachent. Richebois, retenu dans son lit par des blessures qu'il avait déjà reçues l'avant-veille, sera égorgé ainsi que sa femme, qui était sur le point d'accoucher. On ira même jusqu’à sortir l’enfant de son ventre pour l’égorger lui aussi. On ne sait jamais… Un autre médecin, le docteur Landry, est précipité des fenêtres de l’étage de sa maison et s’empale sur les pointes des hallebardes. Un certain nombre de huguenots, poursuivis par la meute, se réfugieront dans une maison-forte de la ville mais ils seront tous sont massacrés…  La nuit fit trêve à ces actes de barbarie qui recommencent dès le lendemain matin pour durer neuf jours encore….
Neuf jours de haine et de sang. Pour ajouter à la vengeance et au mépris, on traine le corps dénudé de toutes les victimes à travers les rues de la ville pour aller les jeter dans l’Yonne.  Pas de sépulture pour les impies. Ainsi, après le massacre de Sens, l'Histoire ecclésiastique rapportera quela Seine charriait des cadavres jusqu'au Louvre. L'un des cadavres passa sous les fenêtres de Charles IX. Alors qu'un noble expliquait au souverain qu'il venait du massacre de Sens, le cardinal Charles de Lorraine  eut un geste de mépris : « Il se boucha le nez  et dit  que c'estoit une charongne qui sentoit fort mal ». (3)
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Catherine de Médicis par François Clouet
416px-cardinal-de-lorraine-1.jpgCharles, cardinal de Lorraine (1524-1574)
 (vers 1555), atelier de François Clouet. Chantilly, musée Condé
Le 19 avril 1562, Louis de Condé fit parvenir une lettre à Catherine de Médicis, accompagnée du récit du massacre de Sens afin de justifier sa prise d'armes en faveur des protestants : « Et de fait Madame, quand vous aurez entendu le piteux massacre n'agueres commis en la ville de Sens, sur une grand quantité de povres gens faisans profession de l'Evangile, dont la cruauté n'est moins horrible à escouter que le fait est inhumain et barbare, ainsi que plus amplement vostre Majesté le verra, s'il lui plait, par le discours ci enclos, lequel je vous envoye ». (3) Il sera assassiné par Montesquiou en 1569 à la bataille de Jarnac. Son cadavre, faisant l’objet de quolibets lancés par les catholiques, sera trainé sur un âne. Il est inhumé à Vallery.
Gérard DAGUIN
Documentation : Bernard Brousse, SAS, Virginie Garret, Cerep 5, rue Rigault Sens.
1, Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l'Yonne, année 1863.
2, Jean Crépin, Histoire des martyrs persecutez et mis à mort pour la vérité de l’Evangile.
3, Histoire ecclésiastique des Eglises réformées au Royaume de France.

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Autre page du site consacrée au massacre des huguenots de 1562
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Date de dernière mise à jour : 11/04/2013