La longue marche du cheval de fer
Avant l'avènement du chemin de fer,
le système de transport rapide est assuré par les diligences
qui atteignent la vitesse moyenne d'un cheval au trot !
C'est au Royaume-Uni, au début du XIXe siècle, que commence l'histoire des chemins de fer avec la première traction à vapeur, inaugurée en 1812, dans le Yorkshire. En 1825, s’ouvrait, au transport des passagers, la ligne Stockton-Darlington avec une locomotive perfectionnée par George Stephenson. En1829, la première locomotive française fut utilisée sur le chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon, deuxième ligne française après celle de Saint-Etienne à Andrézieux, dont les wagons étaient tirés par des chevaux[]. Alors que les chemins de fer se développent plus tôt ou plus rapidement au Royaume-Uni, en Allemagne, Belgique ou Suisse, la France prend du retard à cause des guerres napoléoniennes. Les premières lignes seront tout d'abord courtes et serviront à relier des villes voisines ou à donner aux cités minières et industrielles un débouché vers une voie d'eau. De plus, la France dispose d'un réseau de canaux bien développés et les mentalités ne sont pas encore prêtes à passer au fer[].
Pourtant, le développement des premières lignes de chemin de fer va ouvrir le marché agricole national aux régions de production enclavées, leurs débouchés étant limités jusque-là par un temps de transport trop long pour les denrées périssables. En 1814, l'ingénieur en chef des mines Pierre Moisson-Desroches adresse à Napoléon un mémoire intitulé : Sur la possibilité d'abréger les distances en sillonnant l'empire de sept grandes voies ferrées. La France va se mettre au travail et rattraper son retard. Le 24 août 1837, on inaugure la ligne Paris-St Germain-en-Laye, longue de 18 kms, construite sur une initiative des frères Pereire (Voir encadré). Suivront celles d’Abscond-Saint-Waast, de Montpellier-Sète, de Nîmes-Beaucaire et de Strasbourg-Bâle, première ligne internationale européenne. En 1841, la loi visant à faciliter les procédures d’expropriations pour accélérer le développement du réseau, sera conduite, dans l’Yonne, par le préfet Saladin. En 1842 sera enfin signée la Charte des chemins de fer, une loi relative à l’établissement des grandes lignes, fixant le régime du rail, créant un modèle original de partenariat public-privé : l'État devient propriétaire des terrains choisis pour les tracés des voies et il finance la construction des infrastructures (ouvrages d'art et bâtiments). Il en concède l'usage à des compagnies qui construisent les superstructures (voies ferrées, installations), investissent dans le matériel roulant et disposent d'un monopole d'exploitation sur leurs lignes.
Affiche pour le lancement de la souscription.
Comme on peut s’en douter, la ligne naissante du chemin de fer Paris-Lyon va être l’objet d’une farouche compétition entre des intérêts locaux de notre région, soucieux d’être bien desservis par le futur parcours, et du travail effréné que vont se livrer les adjudicataires comme en témoignent les archives de Germain Félicien Boutault, entrepreneur à Villeneuve-la-Guyard, retrouvées par sa descendante Colette : «La tranchée de Pont-sur-Yonne a été le plus important chantier dans l’arrondissement de Sens. Entièrement ouverte dans la craie, elle a occupé pendant tout l’hiver 150 wagons, 50 chevaux et 500 ouvriers. Les transports, faits sur des rails provisoires, n’ont pas été retardés par le mauvais temps. Une partie des déblais a été porté sur le territoire de Villeperrot ; c’est pourquoi nous devions pouvoir occuper sans délais les terrains de cette commune sur plusieurs points de laquelle on a pu, en outre, établir des ateliers à la brouette et à la voiture, pour occuper un plus grand nombre de bras». Mais avant d’en arriver là d’âpres discussions avaient dû résonner dans les bureaux car le tracé de 1840 prévoyait qu’au lieu de suivre la rive gauche de l’Yonne jusqu’à Pont-sur-Yonne, la ligne traverserait l’Yonne à la hauteur de Saint-Martin-du Tertre pour longer Sainte-Colombe et traverser la plaine entre l’actuelle route nationale et la départementale. Il évitait les gros travaux faits à Pont mais obligeait de construire un pont supplémentaire à hauteur de Sainte-Colombe. (1) En fait, le tracé que nous connaissons sera retenu en 1844. Les chantiers de construction allaient durer plusieurs années et offrit du travail à une importante main d’œuvre de terrassiers, maçons, tailleurs de pierre, charretiers et autres manouvriers. Car non seulement il fallait remblayer, creuser, araser, construire ponts et passages à niveaux, poser traverses et rails, mais aussi bâtir des gares. Il fallut même lancer des souscriptions pour financer le projet.
En 1840, deux tracés étaient à l'étude.
Le tracé rouge a été préféré au bleu qui nécesssitait la construction d'un pont face à Ste-Colombe.
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C’est à l’architecte Cendrier que l’on confie la conception fonctionnelle des gares qui doit respecter un classement selon le trafic escompté. Si Tonnerre eut droit au rang de «gare exceptionnelle», celle de Sens n’eut droit qu’à «la première classe» dont les plans prirent pour modèle la gare plus ancienne de Brunoy. Villeneuve-la-Guyard et Pont-sur-Yonne furent dotés de « gares de 2ème classe», sur le modèle de Villeneuve-Saint-Georges. (2) Il était donc impératif, du point de vue des communes riveraines du tracé, de disposer d’une gare, un enjeu vital pour leur futur développement économique. Ainsi, le 27 août 1849, le Conseil général de l’Yonne dut débattre de la revendication de trois communes aspirant chacune à la création d’une station, Champigny, Etigny et Césy. Considérant qu’Etigny, situé à mi-chemin entre les deux gares de Sens et de Villeneuve-sur-Yonne pouvait facilement communiquer l’une à l’autre, le Conseil rejeta la sollicitation. De même pour Cézy, à mi-chemin entre St-Julien-du-Sault et Joigny. Seule, Champigny eut gain de cause. (A suivre)
Gérard DAGUIN
Documentation : Bernard Brousse SAS, Virginie Garret Cerep, 5, rue Rigault Sens.1, Etienne Dodet, Autour de l’inauguration du chemin de fer à Sens. 2, Georges Ribeill, De la vapeur aux caténaires.
«L’invention» des pommes soufflées.
L'événement s'est produit le 24 août 1837 dans le restaurant du débarcadère du Pecq (Yvelines), alors terminus de la ligne, où officiait le chef du restaurant du Pavillon Henri IV de Saint-Germain-en-Laye, lors de la «pré-inauguration»[] de la ligne de Paris à Saint-Germain-en-Laye par la reine Marie-Amélie, femme de Louis Philippe. Au menu figuraient des escalopes grillées avec des frites. Le cuisinier mit dans la friture les pommes de terre coupées en fines tranches à l'heure prévue, mais quand il fut prévenu par la gare que le train inaugural aurait un retard, du au ralentissement provoqué par la montée de la côte des Gardes, (le train étant surchargé de personnalités), le chef Collinet fit arrêter la friture à regret. Il sépara les tranches de pomme de terre à moitié frites et les fit égoutter avec l'intention de les remettre à frire lorsque les invités seraient arrivés. Le moment venu il refit chauffer la graisse et quand elle fut très chaude, il constata en y plongeant les tranches de pomme de terre qu'elles gonflaient[]. Les pommes soufflées étaient nées.
Date de dernière mise à jour : 01/12/2012